Dans une maison, derrière une fenêtre, deux femmes parlent. Nous entendons. Elles parlent lentement, entre de longs silences, cherchent leurs mots, les trouvent ou ne les trouvent pas, se taisent encore, essayent d'autres mots, se contredisent, se coupent, oublient le magnétophone, essayent de se souvenir, essayent de parler, avancent, se perdent, se retrouvent, se perdent encore, mais avancent toujours, sans modèle, sans plan, sans prudence et, pour la première fois peut-être, sans la peur du CENSEUR. D'où vient que ces propos soient publiés dans leur état premier ? qu'on les livre sans correction aucune ? qu'on ose proposer à la lecture cette incohérence, ce désordre, cette confusion, cette opacité, ces redites, ce piétinement de la parole ? D'où vient que ce qui n'est pas du tout écrit, remanié, mis en forme, élucidé, fascine à ce point ? Quel est le mystère de cet écrit de la parole ? Est-ce parce qu'il est, enfin, celui de la femme ? celui à venir ?
M. D.
Ce livre d'entretiens est paru en 1974.
Aucun texte littéraire n'a probablement suscité autant de lectures et d'interprétations qu'Hamlet et n'a fasciné à ce point les critiques, qui n'ont cessé de débattre des ambiguïtés et des contradictions de la pièce, s'interrogeant sur les circonstances mystérieuses dans lesquelles est mort le père du héros.
Mais tous ces auteurs parlent-ils bien du même texte ? Ce dont témoigne Hamlet, en raison du nombre de ses commentaires, est de la difficulté, dans l'échange littéraire, à éviter le dialogue de sourds. Il est en effet impossible, quand nous discutons d'une oeuvre, de sélectionner des passages identiques, de les percevoir à travers des théories semblables, d'inventer des questions qui ne soient pas marquées par une époque et par la personnalité de celui qui les pose. Bref, de parler de la même chose que les autres lecteurs.
Trouver la solution à ce problème du dialogue de sourds est pourtant un passage obligé si nous voulons reprendre l'enquête inachevée sur la mort du père d'Hamlet. Et tenter, en reconstituant ce qui s'est passé il y a cinq siècles à Elseneur, de résoudre l'une des plus vieilles énigmes criminelles de la littérature mondiale.
Aucun lecteur sensé ne peut croire en la solution invraisemblable proposée à la fin du célèbre roman policier Dix petits nègres.
En donnant la parole au véritable assassin, ce livre explique ce qui s'est réellement passé et pourquoi Agatha Christie s'est trompée.
Le sexe est chose mentale. Il colore notre vision du monde, il transforme la connaissance que nous en avons, et même il la crée. La sexualité implique un rapport particulier au vrai, au beau, au bien, autrement dit, un savoir, une esthétique, une éthique, une politique.
Or, quand le désir change, la vision du monde en est changée. Que sait un gai sur le monde ?
Quelle expérience en a-t-il ? Qu'en ignore-t-il ? Trois mille ans de littérature occidentale ont exploré l'intellect hétérosexuel et la vision du monde qui l'accompagne. Il est temps d'explorer une autre face, celle du savoir gai, celle de l'étrangement.
Il ne sera pas seulement question de drague, de fantasmes, de pornographie et de taille du pénis, mais aussi de Platon, Vélasquez, Proust, Oshima et Cat Stevens, des chauffeurs de taxi, des colonies de vacances, du mariage pour tous et de la longévité des chats et des baleines bleues. De la vie sexuelle de Jésus, également. Bref, de la vie tout court.
Lecteur, tu en apprendras ici beaucoup sur l'homosexualité, sur l'hétérosexualité, mais d'abord et surtout sur toi-même. Tu es l'objet de ce livre, toi et ta sexualité.
La SF est créatrice de mondes, mais les mondes créés par Philip K. Dick ont la particularité de s'effondrer très vite. Cela vaut pour le monde réel comme pour les mondes artificiels. D'ailleurs est-il encore possible de les distinguer les uns des autres ? Qu'est-ce qui nous assure que nous n'évoluons pas dans des mondes faux, aussi artificiels qu'un parc d'attraction - avec entrée payante ? Et si ces mondes sont créés de toutes pièces, qui en contrôle les apparences ? À qui appartiennent-ils ? Dans quel but sont-ils produits ? En nous bombardant de réalités artificielles, ne cherche-t-on pas à nous voler le monde - et notre rapport au monde ? Si tel est le cas, comment lutter contre ces entreprises de dépossession ?
A l'image du romancier américain Morgan Robertson, qui raconta le naufrage du Titanic avec quatorze années d'avance, les créateurs semblent disposer d'un accès privilégié vers l'avenir, qui leur permet d'anticiper les guerres, les dictatures ou les catastrophes naturelles.
Prendre la mesure de cette capacité prémonitoire ne devrait pas seulement inciter à leur confier des responsabilités politiques et à les associer aux recherches de la science, mais aussi à remettre en cause notre lecture des oeuvres ainsi que notre représentation de l'histoire littéraire et artistique.
Le 18 mai 1968, sous les drapeaux rouges et noirs de la Sorbonne occupée, se constitue le Comité d'action étudiants-écrivains. Pendant des mois, ses militants se réunissent pour produire des tracts, des affiches et des bulletins et les distribuer au carrefour des rues, sur les marchés, aux portes des usines, à l'exemple des centaines de comités apparus dans la région parisienne. Délaissant la littérature, ils défendent l'espace public oppositionnel créé par le soulèvement, où ils reconnaissent l'émergence d'une parole d'outrage et la préfiguration d'un communisme libertaire.
Aux côtés de Marguerite Duras, Daniel Guérin, Jean-Jacques Lebel, Dionys Mascolo et d'une vingtaine d'autres écrivains et intellectuels, Maurice Blanchot s'engage corps et âme dans ce comité. Se mêlant aux foules insurgées, il prend le parti de la « pègre », des « émeutiers » et des « enragés », de tous ceux qui s'éprouvent ingouvernables. Ces semaines insurrectionnelles qui viennent clore pour lui une décennie d'engagements antiautoritaires lui donnent le sentiment d'être à la fin de l'histoire, toute communauté dissoute, tout pouvoir destitué : « la révolution est derrière nous ».
Spécialiste mondialement reconnue de l'histoire ouvrière mais aussi de l'histoire des femmes, Michelle Perrot a puissamment contribué à remodeler ces domaines d'étude. Ses analyses des grèves, mais aussi du rôle des femmes dans la cité, continuent d'orienter nombre de recherches ; de même ses travaux sur la prison et sur les mécanismes d'enfermement, menés en étroite liaison avec ceux de Michel Foucault. Elle a également contribué à réhabiliter l'analyse de la vie privée, de l'intime. De sa thèse, qui fit date, Les Ouvriers en grève, à Histoire de chambres, cette énergique historienne des conflits, sociaux et « genrés », s'est aussi affirmée comme une subtile analyste des tyrannies de l'intimité comme de ses frêles bonheurs.
De Montaigne à Perec en passant par La Fontaine, Voltaire ou Stendhal, les plus grands écrivains de notre littérature ont imité d'autres oeuvres. Ils ont utilisé, parfois sans le dire, parfois sans en avoir conscience, l'oeuvre des autres pour écrire la leur. Car personne n'écrit à partir de rien. Personne ne prend la plume sans avoir à ses côtés un bagage plus ou moins chargé de livres. Une bibliothèque intérieure, parfois partiellement oubliée, parfois bien présente à l'esprit, parfois directement présente à portée de main, ce qui donne la tentation de l'ouvrir. L'imitation est l'un des phénomènes les plus naturels de la création littéraire. Et malgré cela, les écrivains ont souvent ressenti une gêne, une peur diffuse ou une terreur violente à se sentir ainsi dépossédés de leurs propres mots. Écrire sous influence, tremper sa plume dans l'encrier du voisin : de tels gestes menacent les rêves de singularité absolue et d'originalité qui président à notre manière d'évaluer les oeuvres.
Comment les écrivains ont-ils réagi à cette peur ? Essayer de répondre à cette question amène à se pencher sur les différents paradoxes que les auteurs ont développés pour résoudre l'antagonisme qui oppose l'imitation et l'invention. Ils ont cherché à nous prouver qu'on pouvait guérir l'imitation par l'imitation, penser une imitation sans modèle ou devenir inimitable en imitant.
La peur de l'imitation conduit ainsi à sonder les mystères de la création, à s'interroger sur les notions d'originalité et d'identité, à percevoir l'aspect collectif, pluriel, de toute écriture, sans céder aux illusions du génie et de l'inédit. Plus largement, l'angoisse de l'imitation renvoie à la question fondamentale de la littérature, celle qui se pose aux auteurs, aux éditeurs et aux lecteurs : qu'est-ce qui est spécifique dans mon oeuvre ? qu'a-t-elle à dire en propre sur le monde, sur Moi et les autres ? qu'apporte-t-elle en regard d'une histoire littéraire déjà copieuse et où tout pourrait déjà avoir été dit ?
Romancier, critique, blogueur, pamphlétaire et auteur d'albums pour enfants, Éric Chevillard, depuis trente ans, coule son oeuvre dans bien des formes. La risée est son royaume et elle s'irise chez lui de toutes les nuances du spectre drolatique. Son humour grince, comme notre monde et ceux qu'il imagine. Ses chroniques du Monde des livres ont ulcéré le Landerneau littéraire, habitué à plus de « camaraderie ». Lui-même ne s'épargne pas les morsures : à l'en croire, il n'aurait pour (rares) lecteurs qu'un quarteron scrogneugneu de mâles vieillissants... Ce conteur d'univers à l'envers fait oeuvre à part en transgressant délibérément la séparation des rôles. Romancier-critique ? Le trait d'union traduit mal l'originalité de la posture. Ce romancier se laisse posséder par la critique : il ne la pratique pas comme une fin, il la cultive comme le principe actif d'une écriture.
Lire Chevillard, c'est donc interroger non seulement notre rapport à la littérature, mais encore notre rapport au monde. Cette conviction anime les contributions ici rassemblées par Raphaël Piguet.
C'est un tout petit « Dragon », un point à peine visible sur la carte de la Chine. Hormis son cinéma, l'un des plus brillants d'Asie, que connaissons-nous de Hong Kong ?
Depuis sa rétrocession par les Britanniques en 1997 et sa réunion (sous un statut spécial) au géant chinois, Hong Kong est pourtant le cadre d'une expérience politique hors du commun : un bras de fer quotidien de David contre Goliath. Et d'une expérience culturelle singulière : l'invention d'une identité. Soumis par la Chine à de multiples pressions politiques, financières, idéologiques, linguistiques et démographiques, Hong Kong n'en semble que plus résolue à « prendre le large ». Aussi l'avenir de Hong Kong ne concerne-t-il pas les seuls Hongkongais - tant s'en faut.
Ce numéro a été conçu et dirigé par Sebastian Veg, chercheur, traducteur, directeur de la revue Perspectives chinoises et fin connaisseur d'une ville où il vit depuis plusieurs années. Il donne la parole à quelques-uns des meilleurs spécialistes français et étrangers de cette étrange Cité-nation - et avant tout aux Hongkongais eux-mêmes.
Il n'est bruit parmi les gens de théâtre que de la crise du théâtre. Crise de la profession, dont le malaise suscité par le statut des intermittents n'est qu'un des aspects. Crise aussi de l'institution théâtrale et du modèle de " service public " dont l'hégémonie est récente mais qui accomplissait au fond un très ancien voeu des Lumières, celui d'une scène civique, mi-école et mi-agora.
Certes, le théâtre a toujours vécu aussi de ses crises. Celle-ci a pourtant une dimension qui paraît nouvelle et pourrait être symptomatique d'un ébranlement en profondeur. Depuis au moins un demi-siècle, le théâtre le plus " moderne ", le plus vivant en tout cas, a été dominé par la figure du metteur en scène - flanquée à partir des années 60-70 par celle du " dramaturge ". Or c'est bien cette figure qui paraît aujourd'hui compromise ou dévaluée. C'est toute une manière de faire du théâtre et surtout de le " diriger " qui est mise en cause dans ce qu'on appelle parfois le " postdramatique ".
C'est ce dossier dans le dossier, cette crise à l'intérieur de la crise, qui fait l'objet des articles ici réunis. Pour l'instruire, nous avons fait appel à deux spécialistes des études théâtrales : Christian Biet retrace, à travers trois ouvrages récents, la généalogie de cet étrange personnage qu'est le metteur en scène ; Tiphaine Karsenti, à partir d'un important ouvrage d'Isabelle Barbéris, montre comment la crise théorique et pratique du théâtre contemporain pourrait bien cacher une autre, celle de la mise en scène. Et tandis que Thomas Pavel, professeur à l'université de Chicago, revient sur la dramaturgie de Claudel (dont l'oeuvre théâtrale paraît dans la Pléiade), Elena Galtsova, chercheuse à l'Académie des sciences de Russie, nous parle des heurs et malheurs du théâtre français contemporain dans son pays.
Nous souhaitions évidemment recueillir aussi les réactions d'un metteur en scène : Jacques Lassalle, que son parcours et ses livres désignaient pour être celui-là, répond dans un entretien accordé à Critique aux questions de Christian Biet et Yves Hersant.
Nés dans un cadre étroitement national et longtemps portés par la politique prédatrice des conquêtes militaires et coloniales, les musées aujourd'hui se découvrent, ou plutôt se redécouvrent, « universels ». Il ne s'agit évidemment plus, dans un monde globalisé, d'élire et d'imposer « notre » Beau. Il s'agit d'inventorier tout ce qui a échappé à l'appréciation de nos prédécesseurs et de deviner ce dont s'émerveilleront nos héritiers. Soit, à la limite, de tout inventorier. Car Péguy le notait déjà dans Clio, le propre des modernes est de vouloir se regarder avec les yeux de la postérité. L'inventaire infini du patrimoine dans lequel nos sociétés sont engagées est une entreprise vertigineuse.
Mais un vertige peut en cacher un autre. L'irruption de nouvelles formes muséales, d'Internet à Abu Dhabi, nous confronte à des séries d'images sans collection qui leur corresponde ou à des catalogues d'exposition sans murs pour les accueillir. « Musées imaginaires » que tout cela ? Malraux a ici bon dos et l'abus qui est fait de sa célèbre formule n'est qu'un symptôme supplémentaire de désarroi devant les bouleversements qu'analyse ce numéro, conçu par Jean-Louis Jeannelle.
"Haute fidélité" est un clin d'oeil au mélomane et au pianiste qu'est Jean Starobinski. Mais surtout un hommage aux qualités qui font de lui l'un des critiques les plus lus, les plus discutés, glosés, réinterprétés de ce temps. Car il n'y a pas seulement une "manière" Starobinski, coulée dans l'écriture fluide et rigoureuse dont ses lecteurs connaissent le charme. Il y a aussi une méthode Starobinski et, si discret soit-il, un discours de cette méthode.
Derrière cette oeuvre critique, quelle herméneutique ? Et quelle épistémologie au fondement de cette herméneutique ? Telles sont les questions soulevées dans les sept essais ici rassemblés, issus d'une journée organisée à la New York University par Denis Hollier et Julien Zanetta.
Une initiation à l'ethnologie qui présente les fondamentaux du domaine : grands courants de pensée (évolutionnisme, diffusionnisme, structuralisme, anthropologie culturelle, anthropologie sociale ...), grands auteurs, naissance et développement de la discipline depuis le XIXes., méthodes et concepts de base. grands dommaine de recherche (parenté, politique, économie, religion), techniques d'enquête. La vision est globale comparative, faisant valoir les influences entre écoles et le "recours méthodologique" aux sciences voisines. Au total, une synthèse, étayée de textes de référence, qui s'appuie sur les "classiques" et, pour cette 3e édition s'enrichit de l'exposé des orientations et développements nouveaux du domaine.
Ce monde abîmé, c'est le nôtre. Innommable ou du moins difficile à nommer. « Anthropocène », « Capitalocène », « Occidentalocène » ? La querelle de mots paraîtrait bien vaine, si elle ne témoignait de la gravité d'une crise qui n'épargne rien de la vie - et surtout pas son sens. Le présent numéro de Critique, conçu par Marielle Macé et Romain Noël, rouvre le dossier de nos saccages. Mais non pas sous le signe du désespoir, ni de la résignation. Sous celui du « vivre ». Les douze contributions et les deux entretiens que nous publions n'ont pas seulement valeur de bilan, mais d'appel.
« Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie », écrivait Baudelaire dans Fusées. Il faut répondre. Comme lui, nous nous sentons « perdus dans ce vilain monde » ; comme lui, nous voulons « dater [notre] colère ». Mais nous voulons aussi affirmer que dans nos ruines prolifèrent de nouveaux mondes, incertains, de nouvelles pratiques, de nouvelles alliances où cohabitent toutes sortes de vivants et d'histoires très embrouillées. Nous voulons aussi prendre acte de ce qui se tente et parfois se libère dans ce monde abîmé.
Charles Péguy est de retour. Ne disons pas qu'il est sorti du Purgatoire ; le XXe siècle ne l'a jamais oublié. Longtemps, cependant, on l'a tenu embaumé dans quelque niche - socialiste, catholique ou poétique. Or c'est un Péguy remembré qui nous revient et donc un Péguy plein de vie. On le réédite et surtout on le lit. Et même on le récite, on le joue, on le dit : au festival d'Avignon et à la Congrégation des Filles du Saint-Esprit de Locquirec, à Notre-Dame-de-Paris et au "café Péguy" de la brasserie Lipp.
C'est l'intempestive actualité de Péguy que nous avons souhaité interroger dans ce numéro : à travers les deux livres récents, différents et complémentaires, d'Alexandre de Vitry et de Camille Riquier ; et grâce à l'entretien qu'a bien voulu nous accorder Jean-Luc Marion.