Comment des écrivains qui n'ont pas vécu la Shoah racontent-ils cet événement ? En France, cette question s'est posée de manière polémique à la parution des Bienveillantes de Jonathan Littell (2006) et de Jan Karski de Yannick Haenel (2009).
Cet essai est consacré à l'ensemble de la littérature écrite en français par la génération des petits-enfants, soit par vingt-deux auteurs, qu'il s'agisse de descendants de victimes de la Shoah ou d'auteurs qui se sentent héritiers de cette mémoire.
L'analyse de ces oeuvres permet de se pencher sur des questions très actuelles, comme la délicate appropriation d'un héritage, les supposés dangers de la fiction, ou encore l'utopie qui consiste à croire que l'on peut se faire témoin du témoin ou réparer le passé.
Cherchant une question qui puisse prendre la suite de celle de l'histoire des concepts et favorise de même la construction de ponts entre les approches chinoises et françaises ou européennes sur des questions fondamentales des sciences humaines, la question des classiques est apparue particulièrement adaptée. Il n'est certes pas utile de souligner ici combien une notion assez proche des classiques, comme oeuvres au long cours, dont la lecture et la relecture toujours recommencées participent à la définition des traditions comme à la proclamation des révolutions, marque à la fois l'espace culturel et scientifique européen et chinois. Nous avons donc lancé un appel aux contributions intitulé « passés recomposés » qui mettait l'accent sur la composition et l'apparition d'oeuvres dites classiques mais surtout sur l'histoire longue des relectures souvent divergentes. Il s'agissait de s'interroger certes sur ce qui définit un classique et permet de composer une tradition, mais surtout sur les aspects créatifs de la lecture toujours renouvelée de ces oeuvres consacrées comme telles. On s'est donc concentrés sur l'apparition mais surtout le devenir des oeuvres dites classiques. Il s'agit d'interroger la création et la transformation des conceptions de la culture qui mettent à part des oeuvres constituant un canon, et surtout les pratiques qui amènent des oeuvres ou des corpus donnés à assumer des rôles divers et à subir des relectures, réinvestissements et remotivations à des échelles de temps variées, d'une génération à plusieurs siècles. Ces pratiques doivent évidemment être approchées à toutes échelles et vues dans leurs contextes, enjeux politiques, sociaux, culturels voire économiques?; on n'oubliera pas qu'elles consistent aussi en contestations, réfutations et refus. On a notamment accordé une certaine place au rôle de ces lectures et relectures dans les consciences historiques propres aux constructions impériales et aux processus décrits comme « modernisation ». L'organisation du volume correspond aux aspects principaux de la relation aux oeuvres classiques tels qu'ils sont apparus, nous semble-t-il, durant ces deux colloques. Trois textes ouvrent le volume en posant la question de la définition d'oeuvres et de questions classiques. Suivent des parties intitulées Philologies, où on aborde les démarches spécialisées et scientifiques constituant, en Chine et en Europe, l'approche des oeuvres classiques les plus anciennes?; une deuxième partie intitulée Traductions approche «?les classiques à l'épreuve du transfert?»?; les trois parties suivante Appropriations, Ruptures et Fondations rassemblent des textes analysant ces différents rapports avec des classiques, à travers différents espaces culturels et scientifiques.
Il y a exactement deux siècles, en 1821, Charles Nodier inventait l'appellation « genre frénétique » pour désigner la face sombre du romantisme, sa part d'horreur et d'excès, et il fustigeait l'immoralité du genre tout en reconnaissant les séductions sulfureuses que celui-ci exerce sur le lecteur. Alors que la critique du XXe siècle, des surréalistes à Annie Le Brun et Jean-Luc Steinmetz, a retourné la condamnation moralisatrice du XIXe siècle en faisant l'éloge de la portée subversive de ces oeuvres qui structurent leurs intrigues autour du conflit entre le bien et le mal, il est temps d'adopter une approche dépassionnée des morales du romantisme noir. Si les oeuvres noires, comme on le leur a parfois reproché, se caractérisent par leur manichéisme, celui-ci peut prendre des formes variées. Les romans valorisant la vertu et l'innocence de l'héroïne s'opposent ainsi aux récits sadiens faisant goûter au lecteur les délices vertigineuses de la cruauté. Dès l'époque romantique se multiplient les oeuvres ambivalentes, qui, infusant l'ironie dans le modèle du roman noir, rendent plus incertaine la frontière entre bien et mal. Quelles sont les valeurs défendues dans ces fictions ? Les variations morales dessinent-elles une évolution historique ? Sont-elles corrélées à des tendances esthétiques particulières ? Les études réunies ici proposent quelques réponses à ces questions, à travers l'analyse de l'axiologie du romantisme noir de Ducray-Duminil à Gaston Leroux, en passant par Nodier, George Sand, Balzac ou Pétrus Borel.