« J'ai tenté le parcours sur le fil du rasoir de la probabilité, où chaque phrase permet de ressentir l'abîme qui s'ouvre sous elle et, donc, sa nature précaire, où chaque phrase inclut en elle sa propre négation, son propre échec, et s'efforce, à partir de cet état de fait, de raconter son propre temps. » Cette déclaration de Daniele Del Giudice rend compte, exemplairement, de son oeuvre. Depuis Le stade de Wimbledon (1983) jusqu'à L'oreille absolue (1997), chaque roman, chaque récit aura tenté de définir un art de raconter à l'usage de notre temps, c'est-à-dire une poétique prenant en compte un double héritage anthropologique et historique. Le premier a été présenté par Italo Calvino comme une constante et une spécificité de la littérature italienne depuis Galilée : écrire pour dresser la carte du connaissable ; le second, conséquence de l'histoire du XXe siècle, postule l'impossibilité d'une continuité dans la conception de la fiction comme représentation, telle que l'avait léguée le XIXe siècle, tout en dépassant les conceptions réflexives d'une écriture du neutre. L'art du récit apparaît donc chez Del Giudice comme un art de la probabilité, un art du passage où la venue de l'autre surgit comme une promesse précaire.
Le présent essai entreprend de définir la manière dont la fiction contemporaine maintient son autonomie, tente de problématiser la question de la représentation du sujet selon ses difficultés d'identification dans un monde complexe, instable, multiple, selon ses relations conflictuelles avec les événements, avec l'altérité, avec l'histoire. L'action de l'art et de la littérature s'interprète, au total, comme la présentation d'un sujet qui pense son identité selon des identifications multiples, selon des relations transculturelles, dans les marges de l'ontologie naturaliste occidentale. Cette caractérisation de la littérature et de son pouvoir d'action sont ici indissociables d'un rappel, celui d'Aristote, de la tradition de l'interrogation de la mimesis qui lui est attachée, et des perspectives anthropologiques contemporaines, particulièrement celles de Philippe Descola. Caractériser le pouvoir d'action de l'art et de la littérature selon ces perspectives permet une lecture de la fiction du XXe siècle et une mise en perspectives de bien des thèses dominantes dans la critique - on peut aller ainsi de la vulgate sur le signifiant et le signifié à la déconstruction.
Dans la littérature de l'extrême contemporain et de notre monde globalisé, le "récit du crime" fait de ce dernier non seulement le geste transgressif d'un individu mais aussi l'expression collective d'une communauté sans communauté au sein de laquelle prévaut l'impunité, attestant de la perte de toute autorite symbolique de l'Etat. Les auteurs se sont fait ici enquêteurs au sujet du rapport entre événements traumatiques de l'histoire récente, voire immédiate, et codes génériques, poétiques en Italie et au Mexique principalement.