Parfois achevés à son insu, les livres de Pierre Michon peuvent rester longtemps en sursis, tels des tableaux dont l'heure n'est pas venue alors que d'autres, plus récents, sortent de l'atelier. Mais tous - y compris ceux non encore parus - semblent « contemporains » les uns des autres, pans détachés, selon une maturation inégale, du monument invisible de l'oeuvre : déjà-là et à venir ; remise en chantier permanente, dans le doute et la joie, de questions toujours en suspens jusqu'au moment où, selon le mot de Michon, ça marche car le « Roi, dit-il encore, vient quand il veut ». Le labyrinthe où, depuis l'inaugural Vies minuscules (1984), l'écrivain chemine « à l'aveugle » semble ainsi se développer hors du temps, comme sous l'effet d'un secret principe organisateur. S'appuyant sur la longue crise des Onze (2009) dont le dénouement tardif éclaire d'un jour nouveau un parcours singulier, cet essai s'efforce d'interroger la « profonde nécessité non dite » qui opère à tous les niveaux de l'oeuvre de Pierre Michon, du simple motif récurrent à l'architecture d'ensemble.
Depuis le XIX° siècle, l'espace d'échange et de partage défini par la fiction et la représentation a été progressivement évacué des oeuvres plastiques. "La Figure du Monde" fournit des outils théoriques pour penser l'"histoire commune" de la littérature et de la peinture, ouvrant un champ d'étude inexploré jusqu'ici. Le point de départ du livre est la situation de notre temps. A côté de l'étude systématique des classiques, plusieurs chapitres font entendre la voix d'auteurs du XX° siècle, d'Artaud, Genet ou Leiris à Bonnefoy, Butor, Handke ou Michon. Si leurs textes s'appuient sur ces grands "intempestifs" que furent Balthus, Hopper, Giacometti ou Bacon, ils éclairent aussi autrement l'oeuvre de peintres modernes comme Cézanne ou Van Gogh.