Le narrateur de ce récit - un mari qui surveille sa femme - est au centre de l'intrigue. Il reste d'ailleurs en scène de la première phrase à la dernière, quelquefois légèrement à l'écart d'un côté ou de l'autre, mais toujours au premier plan. Souvent même il s'y trouve seul.
Ce personnage n'a pas de nom, pas de visage. Il est un vide au coeur du monde, un creux au milieu des objets. Mais, comme toute ligne part de lui ou s'y termine, ce creux finit par être lui-même aussi concret, aussi solide, sinon plus.
L'autre point de résistance, c'est la femme du narrateur, A., celle dont les yeux font se détourner le regard. Elle constitue l'autre pôle de l'aimant.
La jalousie est une sorte de contrevent qui permet de regarder au dehors et, pour certaines inclinaisons, du dehors vers l'intérieur ; mais, lorsque les lames sont closes, on ne voit plus rien, dans aucun sens. La jalousie est une passion pour qui rien jamais ne s'efface : chaque vision, même la plus innocente, y demeure inscrite une fois pour toutes.
Alain Robbe-Grillet est le représentant le plus radical de l'école du «nouveau roman». Ses écrits théoriques sont discutés dans le monde entier : ce recueil de ses écrits sur le roman permet, pour la première fois, de juger l'évolution de cet écrivain, le développement de sa pensée, et de comprendre à travers sa doctrine le sens profond de ses recherches.
« Un voyageur de commerce, représentant en montres, arrive dans une île où, semble-t-il, il est né et a gardé quelques amis d'enfance, pour tenter de placer sa marchandise. Toute la journée, sur une bicyclette de location, il parcourt l'île dans tous les sens. Pendant cette même journée, une toute jeune fille, connue pour son goût du flirt et des fugues, sera assassinée. Violée, peut-être ? Le récit est mené par Mathias, le voyageur-voyeur, qui accumule les détails, compte les allées et venues, les siennes et celles des autres, mesure les temps, vérifie sans cesse l'état de ses ventes, justifie chacune des secondes qu'il a passées sur l'île avec une minutie si excessive que le lecteur le plus distrait doit se rendre compte que le texte tout entier, phrase après phrase, est là pour masquer, ou combler, un vide dans cet emploi du temps. Masquer, mais aussi désigner.
Car la narration du Voyeur est tout entière fondée sur cette intuition que la description est, dans une oeuvre littéraire, faite pour égarer, pour empêcher de voir. » (Jean-Jacques Brochier) Couronné par le prix des Critiques lors de sa parution en 1955, Le Voyeur fit l'objet d'un très vif débat littéraire. C'est l'un des ouvrages emblématiques du Nouveau Roman.
Tout le film est l'histoire d'une persuasion : il s'agit d'une réalité que le héros crée par sa propre vision, par sa propre parole.
Cela se passe dans un grand hôtel, une sorte de palace international. Un inconnu erre de salle en salle, longe d'interminables corridors. Son oeil passe d'un visage sans nom à un autre visage sans nom. Mais il revient sans cesse à celui d'une jeune femme. Et voilà qu'il lui offre un passé, un avenir et la liberté. Il lui dit qu'ils se sont rencontrés déjà, lui et elle, il y a un an, qu'ils se sont aimés, qu'il revient maintenant à ce rendez-vous fixé par elle-même, et qu'il va l'emmener avec lui.
L'inconnu est-il un banal séducteur ? Est-il un fou ? Ou bien confond-il seulement deux visages ? La jeune femme, en tout cas, commence par prendre la chose comme un jeu. Mais l'homme ne rit pas. Obstiné, grave, sûr de cette histoire passée que peu à peu il dévoile, il insiste, il apporte des preuves... Et la jeune femme, peu à peu, comme à regret, cède du terrain. Puis elle prend peur. Elle se raidit. Elle ne veut pas quitter cet autre homme qui veille sur elle et qui est peut-être son mari. Mais l'histoire que l'inconnu raconte prend corps de plus en plus, irrésistiblement, elle devient de plus en plus vraie. Le présent, le passé, du reste, ont fini par se confondre, tandis que la tension croissante entre les trois protagonistes crée dans l'esprit de l'héroïne des phantasmes de tragédie : le viol, le meurtre, le suicide.
Puis soudain, elle va céder... Elle a déjà cédé, en fait, depuis longtemps. Après une dernière tentative pour se dérober, elle semble accepter d'être celle que l'inconnu attend, et de s'en aller avec lui vers quelque chose, quelque chose d'innommé, quelque chose d'autre : l'amour, la poésie, la liberté... ou, peut-être, la mort...
Ciné-roman, illustré de photogrammes du film réalisé par Alain Resnais (1961).
Ce livre d'alain robbe-grillet est fort différent de tout ce qu'il a publié jusqu'ici.
Sans doute parce que ce n'est pas un roman. mais, est-ce vraiment une autobiographie ? on sait que le langage du roman n'est pas celui que l'écrivain utilise pour la communication courante. comme c'est ici l'homme robbe-grillet qui parle (de lui-même romancier, de lui-même enfant, etc. ), son écriture paraîtra certes moins austère, moins " difficile ", que ce à quoi il nous a habitués. pourtant, le tissage aventureux, des fragments empruntés aux terreurs ou plaisirs érotiques du petit garçon, à la pittoresque chronique du clan familial, aux chocs causés par la guerre ou par la découverte de l'horreur nazie dans ce milieu d'extrême droite, tout cet entrelacement de petits riens, d'imagerie douce, de lacunes et d'événements trop immenses, amènera plus d'une fois le lecteur, comme malgré lui, à identifier le fonctionnement incertain de sa propre existence à celui, justement, de toute la littérature moderne.
Chef de file du Nouveau Roman et figure emblématique de la littérature et du cinéma d'avant-garde, Alain Robbe-Grillet est resté dans les mémoires pour son oeuvre audacieuse et pour ses prises de position provocatrices et polémiques. La publication de ces cinq entretiens privés, réalisés entre 1991 et 2000, confirme ici la vivacité de sa pensée conceptuelle, tout en permettant de révéler un autre aspect de sa personnalité, parfois impatiente mais plus souvent chaleureuse.
A Marrakech, dans le dédale imprévisible des ruelles et impasses de l'ancienne médina, un orientaliste tombe amoureux fou du fantôme gracieux d'une jeune odalisque, assassinée jadis dans des conditions hallucinantes, selon la légende...
Une ville perdue, qui aurait abrité sur un même territoire plusieurs civilisations successives -répétitives ou contradictoires - déposant chacune ses strates (sa topographie particulière, son histoire jalonnée de cataclysmes naturels ou de massacres, ses textes sacrés, sa panoplie d'ustensiles et de signes), donne lieu ici à une sorte de coupe verticale oú les différents systèmes de traces révèlent l'espace propre de chaque âge.
Mais les fragments se chevauchent, s'interpénètrent, se détruisent mutuellement.
Théâtres, prisons, harems, temples et lupanars semblent cependant à l'archéologue, qui s'avance pas à pas dans ce dédale mobile à transformations soudaines, contenir (cacher ou bien au contraire, le plus souvent, mettre en scène) le même crime secret : le meurtre cérémonieux et compliqué d'une prostituée à peine nubile, dont le souvenir - ou la reproduction rituelle - laisse des taches suspectes sur les pas de l'enquêteur.
Ainsi l'enfant qui se retourne reconnaît déjà - dans ses empreintes encore fraîches - les fantasmes sexuels dessinés pour lui par la société nourricière dans ses livres de classe, livres d'art, ou d'histoire, ou de religion, qui tous lui racontent à leur manière sournoise, inlassablement, le même désir.
De nombreux réalisateurs ont déjà été tentés par l'organisation d'un film autour d'un personnage qui se trouve dans l'impossibilité physique de parler.
Dans le cas présent, cette perte de la phonation serait sans doute liée au traumatisme violent d'un passé indicible: la folie incestueuse qui a conduit un officier supérieur au meurtre de sa propre fille. cet ancien projet, resté vague dans ma tête, se voit tout à coup réactivé par de récentes retrouvailles avec mon vieil ami antonioni. comme vous savez, celui qui est, pour nous tous, un des plus grands cinéastes vivants - et pour moi le plus grand sans conteste - se trouve depuis plusieurs années atteint d'une disparition quasi totale de la parole, ainsi que d'une paralysie du côté droit qui l'empêche en outre d'écrire et cela sans que ses facultés mentales aient en rien diminué, aussi présentes dans son terrible regard que dans son soudain tendre sourire.
On dirait presque, par moment, que l'acuité de sa compréhension, de sa participation à ce qu'il voit ou écoute, non seulement demeure intacte, mais s'est encore accrue sous l'effet du terrible interdit qui l'empêche de se servir du langage pour l'exprimer. l'enthousiasme que michelangelo a manifesté, clairement, pour ma proposition d'un rôle d'acteur écrit sur mesure (et à sa mesure), mais qui serait cependant de pure fiction, me conduit à rechercher passionnément et de toute urgence (j'ai aussitôt retardé tous mes autres travaux) les moyens de tourner ce film que je suis en train d'écrire pour lui.
De la défense et illustration du nouveau roman au cinéma et à l'art, du sado-érotisme à l'engagement, ce livre rassemble des articles, conférences et entretiens publiés par alain robbe-grillet pendant plus de cinquante ans d'existence littéraire.
Nombre d'entre eux sont aujourd'hui introuvables ou méconnus. faisant une large place à ses contemporains (roland barthes, albert camus, alain resnais, nathalie sarraute, jean-paul sartre, claude simon...), ils constituent une somme qui permet de retrouver l'écho des débats et critiques suscités par son oeuvre et par le nouveau roman en général, dont il a été le représentant le plus voyageur, en même temps que le plus soucieux d'en faire partager les exigences et l'évolution permanente.
Les derniers jours de corinthe termine cette trilogie " romanesque " que continue la curieuse autobiographie d'alain robbe-grillet.
S'affirme ici l'impossibilité pour le " moi " de coïncider avec soi-même dans un tout rationnel et stable. depuis l'erreur politique et l'éros pervers, c'est décidément dans l'errance que le sujet se constitue comme tel, à travers le passé en ruine comme vers le vierge futur. ce je schizophrène va donc s'incarner aussi bien dans des instants vécus, vérifiables, que dans des fictions ressenties intérieurement comme authentiques fragments de vérité.
Ainsi le personnage d'henri de corinthe, de moins en moins historique et de plus en plus halluciné, peut désormais donner libre cours aux contradictions de sa problématique existence. et les glissements d'identité s'opèrent avec un parfait " naturel " : corinthe agitateur et trafiquant (de quoi ?) sur la frontière australe du brésil, robbe-grillet professeur à new york, l'un ou l'autre mourant sous la morsure d'une fiancée vampire dans une forteresse abandonnée à la pointe de bretagne.
Nous sommes à berlin, en novembre 1949.
Hr, agent subalterne d'un service français de renseignement et d'interventions hors normes, arrive dans ancienne capitale en ruine, à laquelle il se croit lié par un souvenir confus, remontant par bouffées de sa très jeune enfance. il y est aujourd'hui chargé d'une mission dont ses chefs n'ont as cru bon de lui dévoiler la signification réelle, préférant n'en fournir que les éléments indispensables pour l'action qu'on attend de son aveugle fidélité.
Mais les choses ne se passent pas comme prévu...
A. r.-g.
Ce second volume des romanesques de robbe-grillet fait, dans une certaine mesure, suite au miroir qui revient.
L'auteur y poursuit, en effet, sa recherche aventureuse à travers les souvenirs de son enfance et de son adolescence qui ont laissé des traces, transformées, briquées, récurrentes, dans l'oeuvre de l'écrivain ou du cinéaste. mais, cette fois, ce sont surtout les imaginations érotiques du petit garçon qui occupent le devant de la scène, en même temps que les réflexions de l'adulte sur le rôle joué par le sadisme et le crime sexuel dans la fantasmatique masculine.
Cependant, la " jolie fille " y apparaît bientôt comme le contraire même d'une simple victime, brillant soudain de tout l'éclat d'un piège éblouissant : charme mortel de la sorcière. ainsi la grande guerre quitte son visage de boue pour se dérouler à présent dans une sorte de forêt enchantée, oú dragons français et uhlans prussiens sont aux prises avec des fées-fleurs aux troublants sortilèges, dont on est en droit de se demander si elles ne sont pas tout autre chose que des jeunes espionnes suscitées par l'ennemi.
Le présent récit est une sorte de conte de fées pour adultes, ce qui lui permet d'outrepasser en maintes occasions les lois de la vraisemblance.
Il est écrit cependant avec un grand souci de précision, qui peut ressembler au réalisme le plus méticuleux, outrepassant cette fois les lois de la bienséance.
C'est d'autre chose qu'il s'agit, délibérément. Une autre bienséance et une autre vraisemblance...
Malgré les tendres couleurs des chairs nues adolescentes, les contes de fées pour adultes n'ont pas leur place dans la Bibliothèque rose.
A. R.-G.
Après la désastreuse guerre contre l'Uruguay, la ville, menacée par les bandes d'adolescents sauvages installés dans les ruines des hôtels de luxe et des fortifications, à partir desquelles ils mettent au pillage les quartiers encore intacts, a dû être nettoyée systématiquement par l'armée. Le préfet de police a demandé qu'on épargne les plus belles des filles, qui se trouvent ainsi enfermées dans la maison de plaisir où le Docteur Morgan poursuit ses expériences criminelles sur les fantasmes féminins.
Le narrateur, policier pris au piège de ses manipulations frauduleuses, a entrepris parallèlement la description de sa prison, depuis la cellule blanche jusqu'à la salle d'interrogatoire. Il se demande s'il n'est pas lui-même soumis à des essais de conditionnement et à des modifications structurelles. De multiples assassinats et supplices dénoncent en tout cas les relations sado-érotiques qu'il entretient avec le corps de son propre récit.
Souvenirs du triangle d'or est paru en 1978.
À partir de nombreuses photographies privées et de manuscrits, de correspondances et d'articles de presse, de photographies de plateau et d'affiches de films extraits des archives déposées à l'IMEC, cet ouvrage retrace le parcours d'Alain Robbe-Grillet, chef de file et théoricien du Nouveau Roman. Le lecteur découvre ainsi ce qui surgit au croisement d'une oeuvre et d'une biographie, grâce à des documents largement inédits, scrupuleusement sélectionnés avec le concours d'Alain et Catherine Robbe-Grillet.
A l´été 51, Alain Robbe-Grillet rencontre Catherine Rstakian. Très amoureux, jaloux, parfois de mauvaise foi, il lui adresse des déclarations enflammées, tandis que sa compagne tout aussi passionnée tente les premières années de récupérer les lettres qu´elle lui envoie. Car les amants doivent se cacher de l'entourage de Catherine, et usent de subterfuges pour se retrouver dans des cafés ou des hôtels. Ils ne se marieront qu´en octobre 1957, mais ne cesseront jamais de s´écrire. Cette correspondance amoureuse, qui dévoile un Alain Robbe-Grillet très sentimental, regorge d´informations sur son activité littéraire, la publication de ses textes et leur réception dans la presse. Il y est aussi question forcément du Nouveau Roman, de ses relations houleuses avec Butor ou Sarraute, de ses « poulains » Claude Ollier et Claude Simon, de son éditeur Jérôme Lindon. Entré comme lecteur chez Minuit en 1955, l´écrivain devient rapidement le conseiller littéraire de Lindon, et participera notamment à la création du Prix Médicis. Quant à Catherine Robbe-Grillet, comédienne de théâtre à ses débuts, elle se révèle cinéphile, amateur d´opéra et de théâtre. Lectrice boulimique, elle soutient avec ferveur les travaux de son compagnon, lui signalant tout ce qu´elle lit et entend sur lui. Les années passant, elle évoque avec liberté les personnes qu´elle fréquente ou séduit, et va prendre son envol sous le nom de plume de Jean de Berg. Ce volume extrêmement vivant retrace une époque pittoresque où l´on croise artistes, écrivains, cinéastes, traducteurs, universitaires, jolies créatures, et met en scène un couple attachant, authentique et plein d´humour. Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre et la Fondation La Poste